Depuis maintenant deux ans, l’Argentine est engagée dans une période de changements économiques drastiques. Sous la présidence de Javier Milei, qui se revendique « anarcho-capitaliste » et est de formation économiste, le pays est soumis à une série de réformes radicales. Armé d’une tronçonneuse, au sens figuré ou littéral, il entend défaire des années de politiques budgétaires et monétaires erronées.
Les résultats des élections de mi-mandat du 26 octobre 2025 semblent indiquer que les Argentins sont prêts à continuer sur cette voie. Ce virage vers un ultra-libéralisme offre une occasion unique pour les économistes de tester leurs théories dans la réalité. Jetons un œil sur les conséquences de ces deux premières années de mandat.
Le plan économique de Milei : rigueur budgétaire et libéralisation extrême
Le programme de Javier Milei s’appuie sur un constat clair : l’Argentine pâtit d’un gouvernement trop intrusif et dépensier, avec une monnaie affaiblie par des décennies de financement de la dette publique par la création monétaire. En réponse, il a imposé une réduction drastique des dépenses publiques couplée à une libéralisation économique à grande échelle. Peu après son élection, il a dévalué le peso argentin, simplifié le système de taux de change et coupé ou diminué significativement les subventions énergétiques onéreuses pour l’État. Par la suite, des dizaines de milliers de fonctionnaires ont été renvoyés, allégeant ainsi le fardeau salarial du gouvernement.
Il a aussi cherché à diminuer les obstacles au commerce et à alléger les régulations pour stimuler la compétition. En avril 2025, il a franchi un pas supplémentaire en abolissant la plupart des contrôles sur les capitaux et les changes.
La dette publique sous contrôle
Sur le front budgétaire, les résultats sont impressionnants. D’après l’OCDE, le déficit primaire fédéral (hors intérêts sur la dette) qui était de 2,3 % du PIB en 2023 a été transformé en un excédent de 1,8 % en 2024, marquant le premier budget équilibré de l’Argentine depuis quatorze ans. Cette consolidation budgétaire a contribué à une amélioration remarquable de la trajectoire de la dette publique. Avec une appréciation réelle de la monnaie et les effets de l’inflation, le ratio de la dette fédérale sur le PIB, qui était de 157 % à la fin de 2023, pourrait tomber à 72 % d’ici fin de l’année, selon Fitch Ratings.
Quelle est la doctrine économique de Milei ?
La politique de Javier Milei s’aligne sur une philosophie économique libérale classique, souvent décrite comme austro-libertarienne. Elle s’inspire des idées d’économistes tels que Friedrich Hayek et Ludwig von Mises, qui défendent un État minimaliste et une intervention publique minimale.
Milei est aussi un adepte du monétarisme. Au cœur de cette doctrine réside la conviction que l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire, c’est-à-dire résultant d’un excès de création de monnaie par rapport à la production réelle. Cette relation entre masse monétaire et inflation est ancrée dans l’histoire de la pensée économique, mais a été particulièrement mise en avant par Milton Friedman au cours de la seconde moitié du vingtième siècle. Pour Javier Milei, le problème argentin provient donc du financement systématique des déficits publics par la banque centrale.
Cette approche n’est pas exempte de critiques. Les économistes keynésiens, par exemple, estiment qu’une austérité trop abrupte peut entraîner une récession sévère, affectant négativement la dynamique de la dette en réduisant les recettes fiscales. Ils recommandent une approche plus graduelle, combinant la consolidation budgétaire à des mesures de soutien ciblées pour atténuer l’impact social.
L’inflation en Argentine maîtrisée : un succès indéniable
Le succès le plus frappant concerne l’inflation. En décembre 2023, lors de l’accession au pouvoir de Javier Milei, l’Argentine subissait une inflation galopante avec un taux annuel de plus de 200 %. Moins de deux ans plus tard, l’inflation a été réduite à 31,8 % en rythme annuel, un niveau encore élevé selon les normes internationales, mais qui marque une amélioration significative pour un pays où les prix doublaient presque chaque année.
Cette victoire sur l’inflation a été saluée par les marchés financiers et les agences de notation. Standard & Poor’s a relevé la note souveraine de l’Argentine à CCC, tandis que Fitch l’a portée à CCC+. Ces améliorations reflètent une confiance accrue (bien que très précaire) dans la capacité du pays à honorer ses engagements. Elles facilitent l’accès de l’Argentine aux marchés internationaux et réduisent le coût de son endettement.
Une récession sévère
Évidemment, ces améliorations ont exigé des sacrifices. L’ajustement budgétaire radical a plongé l’Argentine dans une récession profonde. L’économie a rétréci de 1,8 % en 2024, et l’activité a été particulièrement affectée durant la première moitié de l’année. Plus de 200 000 emplois formels ont été perdus entre décembre 2023 et juillet 2025, selon le Centre for Argentine Political Economy (CEPA), et 18 000 entreprises ont fermé leurs portes. Les secteurs les plus impactés ont été l’industrie et les services, frappés de plein fouet par l’effondrement de la demande intérieure. Les salaires réels ont chuté de plus de 20 % depuis 2023, réduisant considérablement le pouvoir d’achat des ménages argentins.
La consommation privée a fortement diminué, les ménages préférant économiser ou différer leurs achats en raison de l’incertitude économique. Les industriels font face à des conditions particulièrement difficiles : entre la concurrence des importations à bas prix et la faible demande locale, les marges se sont effondrées. Environ un Argentin sur trois vit désormais dans la pauvreté, une situation sociale alarmante qui pèse lourdement sur les plus vulnérables.
Cependant, des signes de reprise sont apparus dans la seconde moitié de 2024, et l’OCDE anticipe désormais une croissance vigoureuse pour les années à venir. Selon ses projections, la croissance s’établirait à 5,2 % en 2025, et 4,3 % en 2026. Affaire à suivre….
Le taux de change : une situation précaire
La politique de change est l’un des aspects les plus délicats de la stratégie du président argentin. Après la dévaluation initiale, le gouvernement a tenté de stabiliser le peso pour stopper les spirales d’inflation et la fuite vers le dollar. Cependant, la méfiance envers la monnaie nationale reste profondément ancrée parmi la population.
De plus, la stabilisation du peso a davantage pesé sur l’économie argentine. Le taux de change réel (en tenant compte de l’inflation) de la monnaie s’est en fait accru, rendant plus difficile les exportations, et augmentant les importations. Les entreprises argentines ont perdu en compétitivité, dans un contexte déjà difficile.
Productivité et compétitivité : le défi de long terme
Au-delà des résultats à court terme, le succès du programme de Milei dépendra de sa capacité à stimuler la productivité argentine, en baisse depuis des années. L’accroissement de la productivité reste le moteur de l’enrichissement durable d’un pays.
L’Argentine a d’importants atouts, notamment dans le secteur agricole et dans les industries liées à la transition énergétique, où ses ressources naturelles lui offrent un avantage comparatif. Selon l’OCDE, l’Argentine doit investir massivement dans ses infrastructures, améliorer son système éducatif et judiciaire, et continuer à simplifier son environnement fiscal et réglementaire.
L’avenir de l’Argentine reste incertain
Les élections de mi-mandat du 26 octobre 2025 ont renforcé politiquement Javier Milei, lui donnant un soutien accru pour continuer son expérience économique. En triplant presque sa base parlementaire, il a maintenant une majorité plus solide pour passer des réformes ambitieuses en vue de l’élection présidentielle de 2027. Le soutien du Trésor américain, qui est intervenu à plusieurs reprises pour soutenir le peso argentin, offre quelques marges de manœuvre.
Cependant, plusieurs défis majeurs demeurent. On peut citer la viabilité sociale du modèle : si la récession persiste ou si la reprise tarde à profiter aux classes populaires, la patience des Argentins pourrait s’épuiser, malgré les succès budgétaires et monétaires. Un autre défi est celui de la coordination avec les provinces : l’OCDE souligne que deux provinces (La Pampa et San Luis) n’ont toujours pas adhéré aux règles budgétaires nationales.
Le monde regarde, et les leçons tirées de cette expérience auront des répercussions bien au-delà du Río de la Plata.
Argentine : la victoire de Milei expliquée par le Dessous des Cartes – ARTE

Je suis Aurélie. En tant que membre dynamique de l’équipe Guineetime, je vous guide à travers les évolutions économiques et culturelles. Ma passion pour l’innovation vous aide à anticiper les grands changements.
